Vittoz, guérir des répétitions par la répétition

Mon expérience de vie m'a poussée à explorer les apports psychanalytiques autour de ce processus qu'est la répétition. Cela m’a ouvert des pistes de réflexion et de pratique en lien avec la cure Vittoz.

La répétition, une idée qui arrive avec la psychanalyse

La répétitions

Chez Freud

D’abord, Freud s’y intéresse dès le début de ses recherches. La notion de répétition apparaît avec la naissance de la psychanalyse, d’abord perçue par lui, comme le retour des signes de l’Inconscient. Dès son travail avec Breur sur l’hystérie (1892 et 1895), il aperçoit des “réminiscences”. Il repère que c’est dans le langage que l’être humain trouve un substitut de l’acte.

Lors de la cure, cela se revit dans le présent comme une réitération d’événements anciens. Il y a une répétition d’occurrences, une répétition significative qui mène à des pensées qui échappent. Répéter, c’est se souvenir.

Plus tard, il le reliera au transfert. Son interprétation est nécessaire, le refoulé faisant retour jusqu’à ce que ce que le refoulement ait été levé. À partir du moment où le patient se souvient il ne répète plus.

Le patient peut opposer des résistances dont il tire une jouissance (bénéfices primaires et secondaires). Freud les reliera d’abord au principe de plaisir, elles deviennent alors pour lui un obstacle à la cure. Puis, ces travaux sur la névrose compulsive vont faire évoluer sa réflexion. Pour Freud tout ce qui n’est pas lié, « conscientisé » pourrait-on dire, se répète.

Le jeu de la bobine

Il l’illustre à travers le jeu de son petit fils le Fort/da1, ou jeu de la bobine, à l’occasion des départs de la mère. L’enfant lance une bobine et la fait revenir vers lui dans un geste répétitif. Il rejoue ainsi dans le geste et dans les mots “Fort” (partie)/ “da”(là), le départ de sa mère et son retour. L’enfant devient alors actif dans l’investissement de l’angoisse de perte, en l’anticipant et en reproduisant la joie du retour.

Cependant Freud admet, en 1920, que la satisfaction substitutive de la répétition reste inaboutie, insuffisante. Il persiste un écart entre la satisfaction recherchée et la satisfaction trouvée qui crée un effet de relance ; pulsion de vie s’opposant sans issue possible à la pulsion de mort. Le bien fondé de la cure analytique pourrait être, elle-même, dès lors remise en cause.

La chaine signifiante de Lacan

Jacques Lacan, en 1964, parlait lui de la “Chaîne signifiante”

Pour lui, ce qui se répète est toujours voilé, déguisé, circule à couvert de masque en masque… L’objet de la répétition, c’est une inscription dans l’histoire : “Ce qui se répète, c’est ce qui insiste.” Ce qui demande à advenir, quelque chose d’éminemment symbolique puisque c’est du refoulé ; du signifiant au sens où il demande à être historisé.

Comme pour Freud la répétition est indissociable de la pulsion de mort et c’est aussi la condition du transfert.

Revenant sur le fort/da, de Freud il va plus loin. La répétition est liée à la perte de l’objet dont l’opération langagière fait référence à la trace de ce qui a été perdu “cette fois-là”. “Si elle vient à se répéter, c’est parce que cette trace renvoie à quelque chose de perdu lors de son inscription, du fait même de l’inscrire, donc de la répéter.”

Je comprends donc ici que l’inscription de la perte est déjà une répétition et donne vie à la chaîne. Toute perte impliquerait donc un processus répétitif, si elle n’est pas métabolisée. Cela vient illustrer l’hypothèse de nombreux auteurs, pour qui dès le début du XXème siècle, la capacité à traverser des deuils, des séparations s’acquerraient dès les premiers instants de la vie.

La présence accompagnante

Quand j’observe mon fils de deux ans, je constate sa grande joie ou même l’angoisse , dans une découverte, une expérience nouvelle, ou un apprentissage ; par exemple, enfiler seul son manteau « en papillon », la réalisation d’un puzzle ou nommer un nouvel objet jusque-là inconnu, et c. « C’est quoi ça ? Une fourmi. C’est quoi ça ? une fourmi. C’est quoi ça ? C’est une fourmi, mon chéri ! C’est une fourmi ? Oui, c’est une fourmi… » La joie ou l’inquiétude liée à la découverte, à la réussite valorisante ou au danger potentiel, est tellement intense, qu’elle s’inscrit comme le début d’une chaîne qu’il voudra répéter maintes fois… Je sens aussi qu’il y a quelque chose de sécurisant pour lui dans la constance de ma réponse et dans la patience que je m’applique à garder. Aussi, quand j’y mets tout mon cœur, et toute ma présence, je constate alors que la répétition est moins longtemps nécessaire.

Le thérapeute accompagnera avec patience et bienveillance toute répétition comme un chemin de transformation en cours, révélateur et bienvenu.

Nasio aujourd’hui affine la distinction précédente par sa pratique.

Tout d’abord, il dégage trois types de répétitions dans le contexte de la thérapie :

  • La remémoration, retour à la conscience d’un passé oublié.

  • La répétition saine, retour dans nos comportements, d’un passé troublé ou refoulé mais pas forcément traumatique. Pour lui c’est celle opérée par les pulsions de vie. (pulsions d’autoconservation et pulsions sexuelles.)

  • La répétition pathologique, retour compulsif dans nos symptômes et nos passages à l’acte, d’un passé traumatique, forclos puis refoulé. Celle-ci conduisant de nombreux patients à consulter. Il s’agit ici des pulsions de mort.

Pour trouver une porte de sortie au phénomène répétitif, Nasio propose au thérapeute d’accompagner la personne avec toute son humanité et sa capacité à se laisser rejoindre par la souffrance de l’autre, au cours d’une expérience qu’il nomme « Reviviscence ». Il s’agit d’en tirer toute la conscience de l’émotion vécue et la déloger de l’ombre dans laquelle elle se tapit, parfois depuis la toute petit enfance.

Je suis tentée de formuler une comparaison avec la pratique de la réactivation émotionnelle que nous pouvons proposer dans la cure Vittoz. Cela passera en revanche par une pratique fonctionnelle intense qui permettra l’accès à l’intériorité pour aller vers une libération.

Petit retour sur le pire moment de la crise Covid

 Durant la crise du Covid , le psychanalyste recommandait pour accompagner les personnes soumises à un stress prolongé ou à la dépression :

«Soyez sans angoisse vous-même. Soyez persuadé, et faites-lui sentir qu’il pourra s’en sortir avec les ressources qu’il a en lui.

Transmettez votre propre état de sérénité en étant connecté à son monde intérieur à lui.

Dites ce que vous avez à dire avec conviction.

Ayez une présence silencieuse et chaleureuse.

Ne discutez pas les motifs qui selon lui justifie sa souffrance, n’entrez pas dans sa plainte.

Avec respect, écoutez sans contre-dire. »

Je reste très inspirée pour ma pratique par ses paroles et ces recommandations viendront compléter ma réflexion sur l’action répétitive au sein de la thérapie. J’y perçois encore l’importance de la place et de la posture du thérapeute qui est déterminante pour accompagner la personne, pour aider le passé à révéler ce qu’il a à dire maintenant.

Être présent à l’autre, « revenir chez soi ». Le thérapeute, de la méthode Vittoz en particulier, dispose ici d’une pratique qui a une véritable valeur ajoutée dans le vécu de ces allers-retours répétés qui font la relation thérapeutique.

Le transfert, lieu de répétition, objet et moyen de guérison

« Le passé tend à reconquérir son influence perdue en s’actualisant » annonçait Henri Bergson, et le cabinet du thérapeute est le lieu privilégié où s’active ce principe. Pour Nicolas Abraham et Maria Torok, le transfert n’est pas particulier à la situation analytique [thérapeutique] Il intervient à chaque fois qu’une personne tend à faire jouer à une autre le rôle d’un personnage clé de son histoire, à son insu bien entendue. Mais la cure est considérée comme le lieu irremplaçable il est utilisé comme moteur de changement. Nous nous trouvons là encore au cœur du sujet, la répétition.

Je pourrais témoigner en tant que patiente que c’est précisément l’observation de ce qui se joue dans cet espace-temps thérapeutique qui, en complément et simultanément au travail fonctionnel va pouvoir faire aboutir le travail des profondeurs. C’est là que j’ai compris mon mode d’attachement et que j’ai pu alors commencer de travailler dessus.

Pour la personne qui peut dans une certaine mesure (jamais totalement il me semble) , s’observer être en relation, il y a un trésor à accueillir ; et ce, que le transfert soit positif ou négatif.

En tant que client/patient, observez vos retards, vos agacements, vos attentes et essayer de comprendre ce que ces petits “passages à l’acte” viennent vous dire de vous.

Bien sûr la vie quotidienne vous offre cela à longueur de journée, mais il est impossible et même déconseillé d’en faire l’analyse en tant réel avec votre conjoint, vos enfants… Le.la thérapeute, lui.elle est là pour cela, c’est même la seule chose qu’il est légitime d’attendre de cette relation. Profitez-en !

La cure Vittoz propose des répétitions conscientes qui viennent ouvrir de nouvelles voies dans notre cerveau

Comme il est curieux et heureux de penser que c’est également un processus répétitif qui va permettre une guérison fonctionnelle et donc physiologique du dysfonctionnement cérébral par le truchement de la plasticité du système nerveux (article à venir)  et grâce à votre pratique régulière et persévérante !

Ce n’est pas deux ou trois séances qui vont changer ma vie, ou le fait d’avoir compris ce que propose Vittoz et même pourquoi … c’est bien la mise en place de cet état de présence conscience dans chacun des actes du quotidien.

Rome ne s’est pas fait en un jour, alors soyons bienveillant avec nous-même et à la fois tenaces dans le désir de guérir.

Tout cela se fait tranquillement au fil du temps, pourvu qu’il y aie répétition…

 

A nos sens … Prêts …. ? Marchons … !

 

Auteur: Milène Rapp

Crédit photo Stéphane Rapp

Sources

Milène Rapp, DFE Vittoz-IRDC, La répétition, symptôme et moyen de guérison sans la cure Vittoz, mai 2022.

Qu’on peut traduire par « Parti/là »

Denise Lachaud, www.Freud-Lacan.com, « La répétition. » 2014

J.-D. NasioPourquoi répétons-nous toujours les mêmes erreurs? Éditions PBP 2012

Nasio, Paris, 5 février 2021,Allons-nous tous devenir des déprimés Covid-19 ?”

Emprunt à Blandine Clémot, L’art de la lecture à haute voix Les acteurs du savoir, 2019

Serge Tisseron ‘Maria Torok, les fantômes de l’inconscient », Erès, « Le coq-héron », 2006 n° 186 p.32